Connue aujourd’hui principalement pour sa contribution à la médecine douce basée sur l’emploi de remèdes naturels, sainte Hildegarde est également revenue dans la sphère contemporaine grâce à sa proclamation comme docteur de l’Eglise, plus haute distinction dans l’Eglise catholique, en 2012 par le pape Benoît XVI. Cette proclamation confirme l’action de Dieu dans la vie et l’œuvre de sainte Hildegarde, une vie où elle a écrit ce qui peut s’approcher de livres de théologies, mais surtout une vie où elle s’est laissée guider par Dieu et a écrit tout ce qu’il lui a fait voir dans des visions.
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Une sensibilité hors du commun
Les différentes biographies qui existent au sujet de sainte Hildegarde relatent que dès son plus jeune âge elle avait des dispositions étonnantes. Dans son autobiographie, elle déclare « Au cours de ma troisième année je vis une lumière si grande que mon âme frémit…jusqu’à l’âge de cinq ans je vis bien des choses et j’en racontais certaines de telle sorte que ceux qui les entendirent se demandèrent d’où et de qui cela venait. »
Une anecdote de son enfance nous donne une idée de ce qu’elle pouvait voir : voyant avec sa nourrice une vache pleine, elle lui demanda si elle voyait le petit veau, tout blanc avec des tâches uniquement sur la tête et les pâtes. La nourrice ne vit rien mais le veau naquit et s’avéra conforme à la description de l’enfant, tous furent très surpris.
Le biographe de sainte Hildegarde affirme qu’elle était très discrète sur ses visions, et il semble qu’étant petite elle ait demandé à sa nourrice si elle aussi voyait comme elle, ou avait le même genre de rêve, et devant sa réponse négative, Hildegarde décida de ne plus en parler.
Sainte Hildegarde avait également le don de connaissance des pensées et des intentions des hommes, et il lui fut utile pour diriger les religieuses dont elle avait la charge afin de les écarter de « la vanité », et pour répondre à tous ceux qui la sollicitaient.
Des visions divines et des commandements divins directs
Si les visions et perceptions de son enfance continuèrent pendant longtemps, ce n’est que vers quarante-trois ans, une fois devenue abbesse, que les visions se firent plus marquantes, surtout plus pressantes. Sainte Hildegarde déclare en effet qu’elle vit une grande splendeur du ciel de laquelle une voix lui dit « Dis et écris ce que tu vois et ce que tu entends, non selon la bouche d’homme, ni selon l’intelligence d’une invention humaine, mais selon ce que tu vois et entends de célestes merveilles venues de Dieu. Cela non à ta manière, mais selon la volonté de Celui qui sait. »
On voit là un commentaire très direct qui, unit à la simplicité et aux détails utilisés par la suite pour décrire les visions, montre que cette petite religieuse n’inventait rien et se contentait de transcrire. Elle souligne également le fait qu’elle n’est qu’une « femme ignorante », qu’elle est faible et insignifiante, mais c’est justement grâce à cette simplicité que le message de Dieu peut résonner : comment une personne si fragile pourrait tenir un tel discours si ce n’est sous l’action divine ?
De plus, elle fut au début très réticente à s’exécuter, craignant ce que diraient les autres si elle écrivait vraiment le contenu de ses visions. Suite à ce refus, elle demeura clouée au lit par une pénible maladie, et elle finit par se confier à son confesseur qui, une fois mis au courant de certaines visions, l’encouragea à écrire. Elle commença par dicter à l’une de ses religieuses et au moine Volmar qui lui servit par la suite de secrétaire pendant de longues années. Au fur et à mesure qu’elle dictait, la santé lui revint.
Elle écrit donc le Scivias (connaît les voies) sur quatre ans et y relate 24 visions qui portent sur la conception du monde, la place de l’homme dans le monde, le règne angélique, le récit de la chute de l’homme, l’histoire du salut, ou encore sur le combat entre les vices et les vertus qu’elle raconte dans la dernière vision presque sous forme de pièce de théâtre.
A la description de ses visions, elle joint fréquemment un commentaire qui explique chaque récit et ce qu’il peut vouloir dire de manière concrète. Ces visions permettent donc d’apporter des précisions sur des points de la foi catholique, des images pour mieux les comprendre et des recommandations de conduite.
Le porte-parole de Dieu
C’est dans cette même dynamique que sainte Hildegarde se positionne comme prophétesse et porte-parole de Dieu. Elle agit selon la pratique qu’elle accord aux prophètes de l’Ancien Testament : « Ils ne flattent personne. Ils se tiennent sans faiblir dans la vérité entière. Tout ce qu’ils disent ils le reçoivent de Dieu. Ainsi sont-ils inflexibles comme la pierre. Ils ne cèdent à personne. Tout cela se passe dans la simplicité d’un enfant. »
C’est bien cette simplicité qu’elle vise quand elle rappelle dans un grand nombre de ses lettres que les conseils ne viennent pas d’elle mais de « La lumière vivante ». Et c’est cette force inflexible qu’elle montre dans ses courriers à l’empereur Barberousse ou au pape Anastase IV lorsqu’elle critique leur politique et leur recommande vivement de se conduire avec justice.
Elle réussit d’ailleurs une parfaite combinaison de soumission à ses supérieurs et de résistance qui ne cède rien quand elle sent que cela va à l’encontre de ce que demande Dieu. Ainsi, lorsque vers la fin de sa vie, le couvent sera frappé d’interdit (interdiction de chanter les offices), elle se soumettra à l’autorité en faisant murmurer les prières, mais elle se démènera pour faire annuler cet interdit, et refusera toujours de rejeter hors du cimetière l’homme qu’elle y avait accepté et que les autorités voulaient lui faire bannir.
Du reste, ses résolutions fortes sont motivées par la façon toute particulière que Dieu a d’insister sur sa volonté auprès d’elle. En effet, dès qu’elle hésite, retarde ou recule devant une action demandée par Dieu, elle tombe malade comme lorsqu’elle voulait taire ses visions. Ce signe permet également de convaincre son entourage que ce n’est pas tant elle que Dieu qui demande l’action en question.
On peut également noter que sainte Hildegarde a été en correspondance avec d’autres mystiques de son temps, l’exemple d’Elizabeth de Schönau avec qui elle échange plusieurs lettres est le plus marquant. Cette femme est victime de moqueries de certains qui déforment ses propos prophétiques et elle déclare vouloir taire ce qui lui est révélé même si un ange lui a demandé le contraire. Sainte Hildegarde la conforte et lui affirme que si elle a ce don, c’est bien pour en témoigner car elle n’est que porte-parole de Dieu, comme une trompette dans laquelle c’est ce dernier qui souffle.
Une femme qui reste très pratique sous l’influence de Dieu
Ces diverses visions et ce caractère mystique pourraient faire craindre que sainte Hildegarde est bien hors de notre portée et qu’elle vivait dans un monde tout à fait à part, mais il n’en est rien. Comme le montrent ses livres sur les plantes et les maladies, elle avait à cœur tous les aspects de la vie, même les plus triviaux, des ongles cassants aux troubles « des plaisirs de l’amour », elle donne même des conseils pour s’occuper du bétail.
Son biographe précise de plus qu’elle était sans cesse tournée par Dieu vers la vie active quand bien même elle aurait voulu sans cesse rester dans la vie contemplative. Elle est en effet envoyée prêcher aux foules, elle rencontre les pèlerins qui viennent la voir au monastère de Bingen, elle supervise les religieuses à sa charge et elle continue d’écrire.
Son implication dans la vie politique et les mots de soutien qu’elle exprime dans toute sa correspondance, montrent que sainte Hildegarde était une femme profondément connectée avec son époque et ancrée dans la réalité, elle joint à des conseils très terre à terre des exhortations à la prière et à l’ouverture de l’âme, alliant une fois de plus le corps physique appartenant à la terre et l’âme spirituelle reliée à Dieu.
Découvrir en profondeur la vie de sainte Hildegarde de Bingen
Bibliographie
La vie de sainte Hildegarde, édition Cerf, 2000
Hildegarde de Bingen, conscience inspirée du XIIème siècle, Régine Pernoud, édition du Rocher, 1994
Hildegarde de Bingen, Heinrich Schipperges, éditions Brepols, 1996